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Eric DICHARRY
Conférence donnée à la librairie Elkar de Bayonne le 23 juillet 2011.
Fête et excès en tous genres sont souvent synonymes. L’activité des postes de secours lors des fêtes de Bayonne est là pour rappeler que les conséquences des nuits d’ivresse et de liesse peuvent être parfois, pour certains traumatisés, irrémédiables. Mais pourtant, malgré ces débordements et ces excès, les fêtes reviennent d’année en année. Qu’est-ce qui explique alors cette inscription des fêtes dans le temps malgré ces quelques graves incidents relayés chaque année par la presse locale et nationale ? C’est du côté des fonctions remplies par la fête qu’il faudrait rechercher son inscription dans le temps. La fête constitue en premier lieu un marqueur d’identité. Bayonne ne serait plus véritablement Bayonne si on la privé de ses fêtes. Car Bayonne, aux yeux des Bayonnais mais aussi aux yeux d’une population exogène à Bayonne est définie dans ce qu’elle est par les fêtes qui s’y déroulent chaque année depuis maintenant près de 70 ans. Priver Bayonne de ses fêtes ce serait alors privé Bayonne d’une partie de ce qu’elle est. Ce serait en quelque sorte la “dénaturer”. C’est ce qui explique la difficulté pour tout politique de venir interférer et/ou légiférer sur la fête. Toute réglementation de la fête entraînant aussi tôt une levée de bouclier qui ne peut s’expliquer uniquement par les retombées économiques de la fête. Et ce qui est vrai de Bayonne l’est tout autant pour d’autres villes de part le Pays Basque et le monde. Il nous serait en effet bien difficile d’imaginer Rio et Venise sans leur carnaval, Munich sans sa fête de la bière où Pampelune sans ses san fermin. La fête renvoie au concept d’identité et ce concept est particulièrement important et opérant pour tous ceux qui souhaitent réaliser une anthropologie de la fête. La fête est ce qui défini un espace, un territoire, une ville, un village, une province, un pays mais aussi une population dans son identité.
Bayonne ne serait plus véritablement Bayonne si on la privé de ses fêtes.
Les Basques ont largement été définis de la sorte par de nombreux auteurs, comme un peuple qui aime danser et chanter c’est-à-dire comme un peuple qui aime faire la fête. Mais cette définition des Basques est avant tout interne, endogène. Elle n’est pas uniquement le fait d’une définition exogène aux Basques. L’exemple de la danse et du chant en donne une parfaite illustration. Ces deux pratiques font partie avec la langue des marqueurs de l’identité basque c’est-à-dire qu’ils participent à la définition que les Basques se donnent d’eux-mêmes. S’il nous fallait alors repérer une basquité dans les fêtes de Bayonne c’est du côté de ces pratiques culturelles considérées par les Basques eux-mêmes comme faisant partie de ce qui les définit en tant que Basque qu’il faudrait nous attarder. Pour retrouver une fête basque au Pays Basque, et plus spécifiquement à Bayonne pendant ses fêtes, c’est donc du côté des moments de danses et de chant qu’il faudrait mener une investigation anthropologique. Ce serait par exemple aussi, dans un autre espace-temps, interroger la place des bertsularis dans les rites d’ouvertures des fêtes, en retracer l’histoire, analyser les productions, mener des entretiens avec ces improvisateurs pour connaitre le sens qu’ils donnent à ces interventions. Ce serait également partager, avec des “fêtards”, des moments festifs dans des espaces où les bascophones font la fête en basque et repérer en quoi ces manières de faire la fête ou ces “savoirs fêtes” diffèrent des “savoirs fêtes” des fêtards non bascophones.
L’anthropologue pourrait alors repérer des espaces propices à l’accomplissement d’une fête basque singulière (des rues, des bars, des places,...) et déceler (derrière des pratiques festives originales et singulières qu’il lui incomberait de décrire, d’analyser et d’interpréter), des discours qui les soutiennent et les motivent. Des discours emprunts de tonalités revendicatives d’ordre linguistique voire politique. L’anthropologue pourrait à partir de ces discours festifs politiquement et linguistiquement colorés déduire entre autre que la revendication politico-linguistique est la signature de la singularité de la fête des Basques au Pays Basque. La rédaction d’une recherche sur la question lui permettrait de retrouver sous la plume d’auteurs bascophones une confirmation de ses hypothèses. Pour ceux bascophones qui sont intéressés par la question abordée ici nous conseillerons vivement la lecture de l’ouvrage d’Eneko Bidegain intitulé : “Patxa. Besta bai borroka ere bai” paru aux éditions Gatuzain.
Un rapide survol anthropologique de la fête au Pays Basque permettrait d’élaborer une distinction entre d’un côté “la fête au Pays Basque” et de l’autre “la fête basque au Pays Basque”. Car comme nous avons pu le présenter brièvement, toutes les fêtes au Pays Basque sont loin de pouvoir mériter le qualificatif de basque car pour qu’une fête puisse endosser le qualificatif de basque il ne suffit pas, au dire des acteurs, qu’elle se pratique sur le sol basque. Il lui faut au dire de certains Basques autre chose. Attardons nous maintenant sur cet “autre chose”, sur ce “plus”, qui légitimerait à lui seul cette possible qualification. Pour définir l’objet d’une anthropologie de la fête basque au Pays Basque, le chercheur devrait focaliser son attention sur les fêtes revendiquées comme basques par les Basques eux-mêmes. A ce niveau de la recherche, il serait d’ailleurs intéressant d’analyser les distinctions apportées par les Basques à ces affirmations de basquités car il existerait bien un monde entre “fêtes basques” et “fêtes basques”. Quoi de comparable en effet entre un spectacle estival folklorique pour touristes en mal d’authenticité et une fête en basque destiné à des Basques et revendiquée comme basque par les acteurs de cette fête. Le discours de Basques qui critiquent la production culturelle d’autres Basques est à ce titre révélateur de distinctions et de positions qualifiantes et disqualifiantes.
Un détour par la joute organisée en faveur de la radio en langue basque Gure Irratia à l’Atabal de Biarritz le vendredi 25 septembre 2009 va nous permettre d’éclairer notre propos. Joana Itzaina, la meneuse de jeu, en langue basque gai emailea, met entre les mains du bertsulari Sustrai Colina un compact disque. Sustrai Colina doit poursuivre son improvisation à partir de ce disque. Sustrai regarde le disque, il le tourne et le retourne puis le montre au public qui commence à rire. C’est un album de la chanteuse Anne Etchegoyen. Si le public rit c’est qu’il connait les “goûts musicaux” de Sustrai Colina et ce genre de musique n’en fait pas partie. L’assistance s’attend donc naturellement à ce que l’improvisateur fasse une critique en bonne et due forme de la production de l’artiste. C’est ce qu’il ne manque pas de faire.
Sustrai Colina
Jakin zazute nere CD hau / Anne Etxegoien dala
ta Patxamama jartzen du hemen / sinistu ezin den bezala.
Norbaitek ber(e)hau nahiko baluke / etorri’ta har dezala
neretzat ez da produktu on bat / ez da ere kulturala.
Baizik paristar handi usteei / saltzen dieten postala(Sachez que mon CD est celui d’Anne Etchegoyen / Et il est inscrit sur la couverture un Patxamama qui n’est pas crédible / Si quelqu’un veut le faire sien qu’il vienne et qu’il le prenne / A mon avis ce n’est pas un bon produit ce n’est même pas de la culture / Seulement une carte postale destinée à être vendue aux parisiens)
Sustrai Colina fustige, honnit, désapprouve et éreinte le travail de la chanteuse. Il critique le fait qu’elle se soit permis de choisir comme titre de son album Patxamama. Il faut comprendre ici que pour Sustrai Colina ce choix est une tentative de récupération d’un concept à des fins commerciales. Il considère enfin que ce CD n’est même pas culturel (kulturala), en d’autres termes que ce n’est pas de la culture, mais qu’il est simplement destiné à conforter les Parisiens dans l’image folklorique “carte postale” stéréotypée qu’ils se font du Pays Basque. Un beau pays touristique où les gens chantent et dansent. Son Pays Basque à lui est différent de cette image glamour véhiculée par les mass médias et certains artistes basques, un pays qui lutte pour son autodétermination, un pays qui subit de plein fouet les attaques répressives des forces de répression (Garde civile, justice partiale de Madrid, services secrets espagnols, police et gendarmerie française, renseignements généraux) qui édictent et appliquent des lois oppressives qui ne respectent pas les droits des Basques. Un pays où plus de 700 de ses habitants pourrissent dans les geôles et doivent subir quotidiennement des traitements dégradants. L’on assiste donc à la mise en opposition de deux mondes basques. L’un à l’image d’une carte postale (postala) destiné aux touristes et proposé par l’artiste Anne Etchegoyen, l’autre en lutte d’un Sustrai Colina. Il propose une culture dans le sens Todorovien du terme : “une classification du monde qui nous permet de nous orienter plus facilement ; c’est la mémoire du passé propre à une communauté, ce qui implique aussi un code de comportement dans le présent, voire un ensemble de stratégies pour l’avenir” (Todorov, 1989, p. 337). Les applaudissements du public laisse envisager que sa préférence est entièrement acquise à ce second monde.
Dans l’exemple ci-dessus, l’auditeur Sustrai Colina dans sa rhétorique basquisante n’identifie le CD de la chanteuse Anne Etchegoyen ni à de la culture, ni à fortiori à de la culture basque. Au contraire il le disqualifie en affirmant que ce n’est pas un bon produit. En disqualifiant cette production, il érige en lieu et place une autre culture, la sienne qu’il partage avec son public devenu son complice par connivence. La vraie culture, le “vrai” chant basque, la véritable fête basque de la langue basque, est incarnée par le bertsularisme c’est-à-dire par une pratique culturelle réalisée en langue basque, par des Basques, pour des Basques. Pratique reconnue à la fois par les improvisateurs et par leur public comme une pratique culturelle identifiée comme basque. En ce sens, pour reprendre à notre compte une posture interactionniste, la fête basque existe bien, à un moment donné et dans un contexte mouvant où, dans un face à face, un fêtard fait la fête avec d’autres fêtards qui reconnaissent cette fête et qui l’identifient comme basque.
Mais cette notion de fête basque mérite d’être explicitée, creusée, disséquée. Existerait-il une “vraie” et une “fausse” fête basque comme il existerait une “vraie” et une “fausse” cultura basque, un vrai et un faux chant basque ? Une “vraie fête basque” revendiquée comme telle par certains Basques et constituée de pratiques qualifiées comme réellement basques (bertsularisme, théâtre en langue basque, chant pratiqué par des chanteurs qui parlent et comprennent la langue basque, mascarades et pastorales en Soule...) et une “fausse fête basque “folklorisée qui serait une sorte de “contrefaçon culturelle”. Contrefaçon culturelle qualifiée comme telle par certains Basques. La distinction entre ces deux univers ne serait-elle pas dès lors comprise dans un “capital” linguistique qui serait à lui seul capable d’effectuer la distinction et de marquer la ligne de démarcation?
Afin de ne pas tout mélanger et de spécifier ses analyses, l’anthropologue aura tout intérêt à clarifier son étude en faisant appel à des dénominations distinctes qui pourront prendre place dans deux ensembles distincts. Dans celui de la “fête basque au Pays Basque” viendrait s’intercaler de nouvelles spécifications qui s’intègreraient à cet ensemble grâce à un sous groupe dénommé “fête des Basques bascophones au Pays Basque”. Du plus global au plus local, la focale du chercheur parviendrait à délimiter un ensemble humain constitué par une communauté voire une collectivité. Collectivité productrice de fêtes. Fêtes productrices de discours pouvant être analysés afin de permettre de spécifier la problématique de la recherche.
Dans son repérage des fêtes basques au Pays Basque le chercheur aura le choix dans l’élection d’objets d’études. Il pourra par exemple s’intéresser à la journée Herri Urrats qui se tient chaque année à Saint-Pée-sur-Nivelle autour du lac le premier samedi du mois de mai. Journée organisée en faveur des écoles en langue basque Ikastola par l’association Seaska. Là, grâce à une observation participante il pourra décrire la fête, étudier son programme (concerts de rock basque, bertsulari, danses basques, chants basques, jeux, repas,...) et analyser les diverses revendications portées par les acteurs. S’il souhaite prolonger sa recherche, il pourra partir dans la province de Soule en été pour assister à l’organisation d’un pastorale et rechercher dans le discours des acteurs, des organisateurs et des participants les liens qui unissent ce théâtre populaire avec la culture et l’identité basque. S’il poursuit son séjour en hiver, l’anthropologue aura l’occasion de participer à des mascarades qui constituent une période privilégiée par une étude des discours que la société souletine tient sur ellemême. Enfin, s’il procède préalablement à un apprentissage suffisant de la langue basque, il pourra assister à des joutes d’improvisateurs lors de repas ou lors de championnats.
Toutes ces occasions seront pour le chercheur des moments privilégiés où il aura à saisir selon quelles modalités ces différentes fêtes incarnent et redéfinissent sans cesse l’être basque dans ce qu’il était, dans ce qu’il est et parfois même dans ce qu’il aimerait devenir. Car la fête est union, réunion d’un temps passé et révolu réactivé pour l’occasion. Tradition revisitée (danses, chants, costumes...), savoirs faire remis au goût du jour, culture en train de s’inventer. Mais au-delà, elle est discours sur le passé, le présent et l’avenir. Discours qui énoncent une histoire (pastorales) où une actualité sur des modes fixés par la tradition (mascarades, bertsularisme). Discours qui vise non seulement à dire, des vérités, mais à “faire faire”. C’est dans cette incitation du faire que la fête trouve sa valeur subversive.
Zamalzain. Tardets-Sorholus.
A chaque fête ses chercheurs. Pour ceux qui souhaitent s’intéresser aux pastorales, les recherches de folkloristes (Humboldt, Chaho, Michel, Vinson, Webster), de linguistes (Oyharçabal), de spécialistes du théâtre (Etchecopar) ou d’anthropologues (de Larrinoa, Dicharry) permettent d’analyser de quelle manière chaque discipline est venue apporter sa pierre à l’édifice de la construction d’une connaissance. Pour ce qui est de la danse basque, le lecteur pourra se tourner vers les travaux de chercheurs qui au cours des deux derniers siècles se sont penchés sur la question (Alford, Arbelbide, Constantin, Dassance, Desplat, de Larrinoa, Fourquet, Gallop, Guilcher, Harruguet, Hérelle, Inchauspé, Irigoien, Itçaina, Lekumberri, Luku, Otharbure, Michel, Oyhamburu, Peillen, Poueigh, Urbeltz...). Xabier Itçaina est déjà revenu sur cette thématique dans un article intitulé “Ohidura dantzatuak eta ipar Euskal Herriko gizartea” ce qui explique que nous ne nous y attarderons pas. Pour ce qui est du carnaval, il ne serait que trop conseillé au lecteur de parcourir les travaux de Thierry Truffaut, de Kepa Fernandez de Larrinoa et de nos travaux sur les mascarades en Soule. Ce qui nous intéresse dans le cadre de cette conférence sur la fête des Basques au Pays Basque est de focaliser notre attention sur les relations intimes qu’entretiennent sur ce territoire la fête et le politique.
La fête est ce que les acteurs veulent bien qu’elle soit. Les acteurs peuvent profiter de ces moments de “liberté surveillée” pour exprimer des opinions, des revendications, des appartenances, une solidarité, des différences. Quand de jeunes abertzale décident comme ce fut le cas par exemple pendant les fêtes de Pampelune de 2003 d’afficher sur une grande banderole, Bietan jarrai / Gora E.T.A, elle se fait vitrine d’une contestation, affichage d’utopies en marche. La fête reste un momento privilégié pour saisir la réalité sociale et en particulier les discours revendicatifs des militants. Les panneaux des institutions du gouvernement de Navarre deviennent pendant les fêtes de Pampelune de 2003 le lieu d’expression des critiques. L’association Euskal Herrian Euskaraz (au Pays Basque en basque) tague de son e facilement repérable et exprime son désaccord avec la politique linguistique menée dans cette province. Des autocollants (Que se vayan ! Alde Hemendik ! Torturadores !) demandent le départ des forces de répression, Garde Civile, police nationale, CRS. La hache et le serpent qui symbolisent l’organisation séparatiste basque E.T.A fait aussi son apparition dans les rues à l’occasion des fêtes. Une banderole plastifiée avec deux visages de militants et un texte (enbor beretik sortuko dira besteak) s’expose dans la rue à côté d’autres slogans composés sur des affiches en papier demandant de continuer la lutte. Lorsque l’affiche se trouve décrochée, il y a toujours un jeune pour la replacer correctement afin que le sigle E.T.A se donne à voir au grand jour. L’affiche est placée de telle sorte que tous les gens qui descendent la rue puissent la regarder. Elles viennent aussi s’ajouter aux tags déjà mis en place au cours de l’année comme sur la place du quartier Txantrea à côté du supermarché. Le nom de l’organisation n’est plus apparent seul le sigle persiste entouré du slogan bietan jarrai qui signifie continuer avec les deux.
Pendant la fête, les espaces publics sont investis et les politiques ne s’y trompent pas. Quand au Pays Basque sud, après l’accession des socialistes au pouvoir, ils décident d’exiger des propriétaires de bars et des organisateurs de buvettes d’enlever les photographies des militants politiques incarcérés, c’est qu’ils souhaitent faire barrage à ces vitrines festives mais aussi hautement politiques. Dans ces enlèvements de photographies, c’est la réalité du conflit politique qui ressurgit par temps de fêtes. C’est une liberté d’expression jusqu’alors tolérée qui est muselée par les forces de l’ordre. La liberté festive est surveillée, encadrée en fonction des idéologies en place. D’extraordinaire, la fête est rappelée à l’ordre par l’ordinaire et son cortège de lois, par sa logique de répression. La fête est teintée d’idéologique et porteuse de sens. Elle est grille de lecture qui permet de décoder une réalité. C’est le cas pour les pastorales qui interprètent l’Histoire, pour les mascarades qui reviennent sur l’actualité de la province de Soule et pour l’improvisation versifiée dans l’instant qui via ses improvisateurs dispensent ses vérités. Dans une société où une partie de la classe politique est privée de représentation, cette pratique culturelle est investie, ou plutôt devrions-nous dire surinvestie, par une surcharge de politique. Politique qui ne trouve pas de voie d’issue dans son domaine originel et qui pour se faire audible empreinte des voies périphériques, dérivées, culturelles. La culture est donc au Pays Basque plus qu’ailleurs chargée d’un poids politique qui devrait comme dans toutes véritables démocratie être porté par le politique.
Dans ces conditions, la frontière entre le politique et la fête est bien souvent poreuse. Les fêtes peuvent devenir un prétexte pour l’organisation de manifestations qui affichent des revendications et des appartenances politiques et idéologiques. L’exemple du groupe de jeunes qui mettent en avant pour les fêtes de Bayonne de 2011 une proposition alternative est là pour le rappeler. En effet, le groupe de jeunes militants a intégré dans son agenda alternatif des fêtes un jour des jeunes “gazte eguna” à la place Patxa dans le petit Bayonne et une manifestation prévue le jeudi 28 juillet. Il a de plus planifié une “mobilisation” le dimanche 31 à 11 heures trente en face de l’Eglise Saint André avec comme slogan : UPN tortionnaires, “UPN torturatzaileak !”.
Nous le comprenons bien avec ces exemples. Il existe bien un monde entre les acteurs d’une même fête, entre un militant basque qui va manifester une réalité qui existe au Pays Basque à savoir la torture et un autre jeune qui va aller danser une chorégraphie lors d’une flash mob habillé en rouge et blanc sur une musique de Lady Gaga. Chacun va mettre dans la fête une part de ce qu’il est. La complexité de la fête découle du fait que l’ensemble de ces acteurs vont se retrouver au même moment et dans une même ville pour inventer une fête qui va renvoyer à des actes et des discours qui nous renseignent sur ce qu’ils sont.
Euskaraz Bizi Eguna 2012. Euskal Herrian Euskaraz.
Photo: CC - Euskaraz Bizi Eguna 2012
L’art de bertsulari consiste à osciller en permanence entre vérité pure et vérité “manipulée”. L’improvisateur peut partir pour créer ses bertsus d’un fait réel qu’il va traiter de manière à faire rire. Il s’agira donc d’une plaisanterie même si celle si contient une part de vérité. On retrouve dans l’improvisation orale basque les trois catégories, les trois faits pointés par Jeanine Fribourg pour les “dichos” de la fête du Saint Patron en Aragon.
Ceux qui, sérieux, ne supportent qu’une pointe d’humour, ceux qui sont drôles en eux-mêmes, et enfin ceux qui, partant d’un évènement réel mais insignifiant, sont quasiment réinventés et interprétés sur le mode comique.
(Fribourg, 1996, p 150)
Les différences qui concernent ces deux littératures orales sont manifestes au niveau de l’investissement de la charge comique des sujets. Alors qu’en Aragon, la politique est un thème qui n’admet que peu la plaisanterie, il est au contraire au Pays Basque un sujet qui est un thème traditionnel du rire et les improvisateurs n’ont de cesse de brocarder partis et hommes politiques. La politique est non seulement un thème qui admet au Pays Basque la plaisanterie mais c’est un sujet qui procure au public les meilleures occasions d’en rire. Par temps de crispations, se moquer des adversaires politiques, par exemple d’un Président de la communauté autonome basque socialiste espagnol, du PP, du PSOE mais aussi de l’UMP, du PS, du modem ou du FN est ici un moyen d’évacuer la pression accumulée par le conflit politique qui pèse sur les bertsularis et sur les auditeurs des joutes improvisées à des degrés divers. Par temps d’interdiction de partis politiques (ANV, Batasuna au Pays Basque sud), d’organisations de jeunes (Segi...) et par temps de répression de la gauche radicale nationaliste où les arrestations sont quasiment quotidiennes, la littérature orale est un moyen de contestation et de dénonciation de la réalité politique. Le rire est surinvesti d’une fonction perlocutoire et cherche à produire un effet sur l’allocutaire, à le faire passer à l’action par un acte de langage.
Il existe une continuité entre un t-shirt comportant la mention “Independentzia” porté par un bertsulari, une affiche demandant le retour des prisonniers politiques basques au Pays Basque incarcérés et disséminés dans les geôles françaises et espagnoles et les textes de l’improvisation orale. Vêtements, slogans, affiches et discours improvisés renvoient à une terminologie commune. Le discours intra-bertsularistique rejoint l’extra-bertsularistique. Lorsqu’en décembre 2008 plusieurs improvisateurs dont Andoni Egaña, Amets Arzalluz, Imanol Lazkano, Sustrai Colina, Sebastian Lizaso, Xabier Silbeira, Unai Iturriaga, Harkaitz Estiballes, Fredi Paia, Igor Elortza, Jon Maia, Xabier Amuriza, Jon Lopategi, Jon Enbeita eta Onintza Enbeita signent le manifeste pour demander la fin des condamnations à vie, synonymes de condamnations à mort pour les prisonniers politiques basques et la libération de ceux dont l’état de santé alarmant l’exige, leurs revendications rejoignent celles qu’ils expriment, de manière plus ou moins explicite, dans leurs énoncés des joutes improvisées. Officialisation de la langue basque, réunion des sept provinces sous une même entité, fin de la répression par les forces de l’ordre des deux Etats, français et espagnol telles sont les réclamations communes aux discours qu’ils soient internes ou externes au bertsularisme. Par temps de crise, les énoncés et les discours réactivent une actualité brûlante et rappellent que les bertsularis vivent parfois intimement le conflit basque, soit pour avoir des amis emprisonnés, soit pour avoir eux-mêmes été l’objet d’interpellations de la part des forces de répression (gendarmerie et police nationale française, guardia civil et police nationale espagnole). Par temps de crise, comme l’écrit le bertsulari Fredi Paya, les championnats se transforment en “cérémonie politique”. “(...) Txapelketak ekitaldi-politiko bilakatu zirela.” (Paya, Gazteiz, 2011, hitzaldia, Bertsolamintza)
Ridiculiser l’Autre, l’étranger qui peut prendre ici diverses figures comme celle d’un géomètre ou d’un juge c’est aussi à l’inverse s’affirmer soi-même, solidariser un groupe, une communauté par le biais d’autres figures antinomiques des précédentes comme par exemple, par celle du berger. Par le rire, les Basques attestent de leur vitalité et de leur identité. En ce sens le rire définit ce qu’ils sont et donne à voir leur “être” pour reprendre la formulation de Jean Haritschelhar. Se rassembler autor de l’improvisation orale c’est pour les Basques affirmer cette vitalité de l’être basque. Comme le notait Sustrai Colina dans un article paru dans le journal en langue basque Berria, la réunion autour du bertsu dépasse l’objectif strictement culturel. L’organisation d’un championnat de bertsu au Pays Basque nord a un but similaire à celui que peut avoir Herri Urrats, la fête annuelle organisée par l’association Seaska pour soutenir les écoles basques. C’est donner aux gens l’occasion de se rassembler, de se réunir, de se regrouper pour affirmer tous ensemble l’attachement d’un peuple à son pays, à sa langue, à sa culture, à son identité. “Badu herrigintzatik”.
Les cibles de l’improvisation orale basque ne manquent pas, de l’homme ou de la femme politique aux partis politiques, du patron et par extension du patronat à la presse, des curés et hommes d’Eglise aux financiers des banques, des Basques aux étrangers, des habitants de telle ou telle province à ceux de telle ou telle ville, des femmes aux hommes, des jeunes aux vieux, peu nombreux sont ceux qui échappent à la critique caustique, satirique et acerbe du bertsularisme. Seuls les prisonniers politiques basques ou les morts interdisent d’en rire. La souffrance de l’auditoire trace les frontières de ce que nous avons défini comme étant les limites du risible.
L’art de bertsulari consiste à osciller en permanence entre vérité pure et vérité “manipulée”. Andoni Egaña.
Le bertsulari est investi d’une autorité en tant que porte parole. Il a en ce sens une responsabilité et un rôle politique. Une sorte de sagesse qui ne peut s’exprimer dans le discours que si elle s’exprime aussi dans la pratique. Le bertsularisme passe par un apprentissage pratique. Ce n’est pas un apprentissage abstrait. C’est une pratique qui s’apprend par la pratique :
(...)une science pratique, un art que la pratique revivifie sans cesse, auquel l’existence lance sans cesse des défis. C’est ce qui fait que l’héritage ne survit qu’en changeant sans cesse : la transmission remodèle continuellement l’héritage en l’actualisant
(Mammeri, 1978).
Il a tout, comme l’amusnaw berbère :
(...) la capacité de dire au groupe ce qu’il est selon la tradition qu’il s’est donnée, par une sorte de définition par construction de concept qui lui dit à la fois ce qu’il est et ce qu’il a à être pour être vraiment lui-même.
(Bourdieu, 1978)
C’est dans la double faculté d’élasticisation de la réalité sociale et de réajustement à cette même réalité que la pratique tire sa vertu cardinale. Les Basques font de cette improvisation versifiée dans l’instant un espace de réaffirmation des liens identitaires et linguistiques en se référant en permanence à une culture locale, proclamée dans le discours, comme homogène. Cette pratique, invention et libération imaginale sans cesse revivifiée, est une réponse alternative donnée à une acculturation qui va crescendo, à une débasquisation de la population locale (spécifiquement au Pays Basque nord), à une World culture, à une globalisation, à une mondialisation, à une culture monde, à un village planétaire, qui “masquent l’horizon plus qu’elles ne le dévoilent” (Perrot, 2005). Le bertsularisme éclaire le passé, permet de penser le présent et de se projeter dans l’avenir. Il est trait d’union de l’ici au maintenant, du hic au nunc, reliance du temps avec l’espace. Il permet aux Basques, qui lui transfèrent une forte charge symbolique, de se dire, dans une alternance de rire et de sérieux, et de s’affirmer face à un monde en changement perpétuel accéléré. Il est celui par qui ils définissent et consolident leurs racines.
Les poètes basques sont des professionnels de la manipulation du verbe, de la société, du monde social. Ils présentent le monde social tel qu’ils voudraient qu’il soit. Leur discours est empreint de cette représentation et de cette volonté d’être dans un autre monde. Comme les Canaques, les Berbères ou toutes les sociétés en difficulté d’exister, les poètes du verbe basque sont placés dans une situation critique où leur identité collective est en crise, ce qui les porte à élaborer des projections plus ou moins fantasmatiques. La société basque telle que là rêve les bertsularis fait penser à ce que Feuerbach a dit à propos de Dieu : de même qu’on donne à Dieu tout ce qui nous manque, de même on donne à la société basque future et fantasmée tout ce que n’a pas la société basque d’aujourd’hui, tout ce qui lui manque et en premier lieu son indépendance. Dans cette reconstruction fantasmatique, l’ethnologie tout comme l’est le bertsularisme, peut être utilisée comme instrument idéologique d’idéalisation. Dès lors que quelques poètes basques pensent et disent qu’il pourrait y avoir un jour un Pays Basque indépendant il n’est pas impossible qu’il y ait un jour un Etat basque car nommer n’estce pas déjà faire exister ?
Il convient de mentionner pour conclure cet article qu’au terme de cette réflexion sur la Fête au pluriel telle que nous l’avons définie de nombreuses questions mériteraient d’être approfondies. Elles pourraient interroger 1) les raisons qui expliquent la disparition et/ou la reprise de fêtes au cours du temps, 2) les transformations qui affectent ses fonctions (pacification sociale, contrôle social, transgression des normes, régénératrice, contestataire...) 3) les relations qu’entretiennent les collectivités locales et la fête. Collectivités qui mettent en avant le côté consommatoire de la fête et la pousse à devenir un simple produit de consommation 4) les modalités des processus d’“ethnicisation” qui les affectent et l’importance relative aux revendications et aux détournements de l’ordre social.
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